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LA TABLE DU SALÒ

Ils sont alignés, dorés, presque précieux.

Trophées d'un festin qui ne dit pas son

nom, coupes retournées prêtes à servir un breuvage inconnu, peut-être un poison, peut-être une liqueur décadente. Leur brillance contraste avec l'imaginaire qu'ils convoquent: un festin interdit, un repas trop long, un rituel de luxe devenu cauchemar.

Les têtes animales, sculptées avec précision, ne sont plus des symboles de noblesse ou de nature, mais des spectres figés, témoins de la surconsommation, de la chair offerte et souillée. Un banquet de fin du monde, où les règles n'existent plus, où les maîtres et les bêtes se confondent, où l'ivresse se mélange à l'effroi.

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Il y avait autrefois une table immense, dressée dans une salle sans fenêtres, où le temps semblait suspendu. Un festin sans fin, un repas où personne ne parlait, mais où les coupes se levaient et se renversaient dans un silence épais.

 

Sur cette table rouge, comme un autel oublié, reposaient ces verres dorés. Alignés avec une précision presque militaire, ils attendaient leurs convives, reflets immobiles d’une opulence passée. Chaque coupe était surmontée d’une tête d’animal figée dans l’éclat du métal. Le loup, le lièvre, le cheval, le cerf… des symboles de chasse et de noblesse, devenus trophées d’une ivresse indécente.

 

On raconte que ceux qui buvaient ici perdaient peu à peu le goût des choses simples. Le vin devenait fade, la chair insipide, les plaisirs ternes. Alors ils réclamaient plus : plus d’épices, plus d’excès, plus d’abandon. Et la fête se prolongeait, dans un vertige poisseux, où le désir et la satiété se confondaient jusqu’à la nausée.

 

Ces verres auraient pu appartenir aux seigneurs de Salo, à ces hommes qui festoyaient dans l’horreur et la décadence. Ils auraient pu trôner sur la table d’un Casanova épuisé, où les corps fatigués ne savaient plus s’ils désiraient encore. Ils auraient pu être jetés au sol dans un film de Visconti, où les ruines du luxe s’entassent comme des vestiges d’une époque qui ne sait plus mourir.

 

Aujourd’hui, ils sont là, brillants et immobiles, comme les reliques d’un festin qui ne s’est jamais arrêté. Peut-être qu’en les retournant, on entendra encore l’écho des rires, des soupirs, et du silence affamé des âmes repues.

MAURO MANETTI 
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CURATED BY OISIVE

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